Le goût de la découverte : deux chefs, une même vision

Le chef Christophe Hay a su déceler le talent du chef engagé et amoureux de sa région, Loïs Bée, qui a décroché une étoile en moins de deux ans à La Table. Et en faire une destination à part entière. Portrait croisé.

Loïs Bée et Christophe Hay : l’alliance des talents

Avec un restaurant rebaptisé l’an passé « La Table de Christophe Hay et Loïs Bée », le chef emblématique et doublement étoilé de la vallée de la Loire marque la complicité qui l’unit à celui qu’il rencontrait il y a deux ans quand il fut jury du concours international « Création et Saveurs ».

« Outre son parcours prestigieux, j’ai immédiatement reconnu chez Loïs un amour des produits et pour la région. Son nom s’est donc tout naturellement imposé… » confie le chef paysan qui a créé sa société agricole en 2018 : « J’ai grandi dans la ferme de mes grands-parents, nous avions des vaches laitières et je me veux aujourd’hui ambassadeur des producteurs autant que chef de cuisine. » Une évidence autour des produits, et en fil rouge une vision commune d’un terroir en particulier qui mérite de briller. Car Loïs – que le coup de fil surprend sur une plage de Grèce et en pleine remise en question à l’été 2022 (pourquoi ne pas « s’installer » avec Chloé sa fidèle épouse en salle ?) – y voit l’opportunité de revenir dans la région de son enfance, et de la placer un peu plus encore sur la carte gastronomique.

« Il y a une vraie clientèle d’épicuriens à Orléans et peu de propositions de ce niveau. Cela me fait plaisir de ne plus forcément voir les amateurs de bonnes tables monter à Paris, mais à l’inverse d’accueillir des Parisiens qui font 1 h 30 de route pour goûter notre parti pris pour le végétal. » Habitué des pianos étoilés auprès de Glenn Viel à l’Oustau de Baumanière, d’Emmanuel Renaut aux Flocons de Sel, de la Villa René Lalique en Alsace, et de Serge Vieira dans le Cantal, Loïs voit alors (et toujours) en Christophe Hay une source dʼinspiration, un battant, « tout seul en haut de sa montagne », qui lutte pour faire rayonner un terroir béni, entre Sologne et Beauce.

Quand le terroir de la Vallée de la Loire inspire la gastronomie étoilée

« Nous sommes tellement riches, de gibiers avec nos forêts, de poissons d’eau douce, de terres agricoles puissantes qui fournissent blé, maïs, etc. » Emboîtant le pas du chef deux étoiles, Loïs Bée reconnaît depuis son arrivée qu’il a maintenant, presque un artisan dédié à chaque produit. Même l’autruche est locale, produite par un éleveur qu’il a convaincu de travailler avec un chef de cuisine. Et si le bœuf wagyu n’est autre que celui de l’élevage de Christophe Hay, fils de boucher, les légumes sont également fournis en grande partie par les 2,5 hectares de potager de Fleur de Loire. Tout comme les agrumes, autre passion du chef deux étoiles qui travaille une trentaine de variétés à la manière des orangeraies des châteaux d’autrefois.

« Je nourris avec ce potager, entre 40 et 60 % de mes hôtes en hiver, et 70 à 80 % d’entre eux pendant l’été », poursuit Loïs. Cultivant ainsi le meilleur des micro-saisons, de l’asperge à l’artichaut. « On achète tout juste des poireaux et oignons pour réaliser des jus. » Quant aux herbes aromatiques, Chloé (maîtresse de salle) en a fait une vraie valeur ajoutée en fin de repas, avec une sélection d’infusions fraîches, ce qui explique le petit jardin au pied de La Table.

« Si le végétal tient une grande place et concentre beaucoup de ma technicité, j’ai à cœur de proposer de belles pièces de viande ou de poisson que je ne dénature pas. » Comme l’autruche, qui se suffit à elle-même. Le tartare de bœuf wagyu crée la surprise par sa béarnaise sans beurre et simplement montée avec le gras du bœuf, pour gagner encore en intensité carnée. Même démarche avec le carpaccio de carpe qui suit les saisons avec les condiments et une mayonnaise aux fleurs, par exemple. Un best de la maison en clin d’œil à l’enfance en partie provençale de Loïs ? Le tian de légumes. En froid, en chaud, plein de couleurs l’été et marié à une ventrèche de silure fumée, une quenelle de poissons et une bisque mi-écrevisse mi-aspe de Loire ; immaculé l’hiver parce que travaillé uniquement à base d’hélianthis. Avec deux sommeliers et un maître d’hôtel, Loïs affiche depuis deux ans la volonté de travailler dans les moindres détails l’expérience du client. Meilleure ambassadrice de certaines recettes, sa brigade sort de la cuisine… pour venir présenter certains plats.

Loïs Bée, de l’ombre à l’étoile sous l’aile de Christophe Hay

« Ça me semble assez naturel de venir, nous aussi, échanger directement avec ceux qui nous “dégustent”. Rien de tel qu’un échange direct pour créer du lien et un souvenir fort. » Loïs a également tenu à remplacer toute la vaisselle et travaille encore sur de nouveaux modèles avec une potière de Blois, qui s’adapte au plus près de la cuisine du chef. Loïs dont la cuisine a décroché une première étoile souhaite tirer le restaurant vers toujours plus d’excellence. « J’ai trouvé ma place et cette table est sans nulle doute un savant mélange des valeurs de Christophe Hay et de ma cuisine. Elle est différente de celle de Fleur de Loire, et les deux expériences se complètent. » La cuisine de Loïs est en effet « beaucoup plus fougueuse, pleine de jeunesse » comme l’a qualifiée le chef deux étoiles, qui revendique une cuisine plus posée.

« Il ose certains accords, surprend là où on ne l’attend pas, comme avec sa blanquette de veau réalisée à partir d’une mousse cerclée au milieu de laquelle il dresse tous ses éléments… J’ai la chance de pouvoir m’entourer de jeunes aussi passionnés que moi, et les intégrer à ma réussite, dans de nouveaux projets, fait partie à mon sens de la transmission », confie Christophe Hay. En échange constant avec son guide, Loïs Bée entretient le mystère quand on lui demande si d’autres projets se profilent… Il se pourrait bien que la success story se poursuive toujours au cœur de la vallée de la Loire et en duo. « J’ai du mal à m’arrêter car cette terre entre Loir-et-Cher et Loiret a eu un grand passif gastronomique et j’ai cette volonté de ressusciter cette légitimité, de montrer qu’il y a encore de belles choses à entreprendre et à réaliser dans différents secteurs », conclut Christophe Hay.

« J’ai trouvé ma place et cette table est sans nul doute un savant mélange des valeurs de Christophe Hay et de ma cuisine. Elle est différente de celle de Fleur de Loire, et les deux expériences se complètent. »

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Par Laurence Gounel